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Jour 64 – Hopa à Batoumi

Etions-nous encore en Turquie, ou avions-nous déjà passé la frontière. La question mérite d’être poséd. Hopa n’avait presque plus rien de Turc en elle. Peut-être les bâtiments. Mais en ce qui concerne la population, celle-ci était très typée russe. Les visages ont pris de bonnes joues, les ventres un peu de bedaine. Et l’ensemble du personnel de notre hôtel semblait bien venir de ce coin-là. Nous prenons notre temps, nous n’avions qu’une quarantaine de kilomètres à faire, une frontière à passer et un château à visiter. A croire qu’il ne faut jamais penser avoir trop de temps… 

C’était au tour de Laurène d’avoir un souci mécanique. En remontant nos vélos de la cave, son pneu arrière est à plat. Nous voilà à démonter une première fois celui-ci pour remplacer la chambre à air qui a fait son temps (et plus de 10 000km). Nous gonflons un peu, puis nous poussons jusqu’à la station-service la plus proche pour finir le processus. Combien de chance avons-nous pour qu’il soit impossible de réaliser l’opération. Nous terminons alors à la main avec la pompe en se disant que dans dix kilomètres, une autre station est notée sur Maps. Chargés comme jamais, nous reprenons la route tranquillement vers la frontière. Mais à la dernière ville, rebelote. Et comme nous roulions les hommes devant les femmes beaucoup plus loin, quand les premiers se sont arrêtés pour attendre et qu’ils n’ont pas vu le bout de leurs vélos arriver au bout de dix minutes, les voilà repartis en arrière. Là, les filles, sur le bord de la route. Le pneu est de nouveau à plat. Cela fait un petit moment qu’elles poussent leurs vélos. Quelques péripéties plus loin, nous voilà dans un garage automobile. En tentant de regonfler la chambre à air après avoir mis une rustine, voilà qu’elle explose dans le pneu. La chance n’est pas au rendez-vous. Il semblerait qu’une petite épine se soit glissée dans le pneu, et le temps de la trouver, une chambre à air avait eu le temps de rendre l’âme. La dernière tentative sera la bonne, et Laurène pourra enfin repartir du bon pied.

La frontière est en vue. Nous, pendant plus de 7km, nous avions vu du côté Turc des camions garés sur le bas-côté. A la louche, cela fait environ 400 camions qui attendaient de pouvoir passer en Géorgie. Des plaques du Turkménistan, d’Ouzbékistan, du Kazakhstan. Nous nous disons que bientôt nous y serons aussi. Nous plaignons aussi les conducteurs qui vont devoir patienter des heures ou des jours avant de passer, car si un camion passe toutes les cinq minutes, c’est une chance. Un petit tampon pour signifier notre sortie de la Turquie, et nous sommes escortés par un policier pour éviter de devoir montrer encore plusieurs fois nos passeports. Nous avions mis une heure à l’entrée, ici, en dix minutes, nous avions bouclé le passage de frontière. Il faut dire qu’en Géorgie, un unique contrôle, avec un nouveau visa sur nos pages. Nous changeons quelques euros contre des laras et voilà qu’en nous arrêtant devant une cascade sur le bord de route, un vieil homme s’approche de nous. Il produit son propre vin et commence à nous les faire goûter. Il est 14h30, nous n’avions pas encore mangé, à peine traverser la frontière, que déjà nous avions un verre en main. Nous repartirons avec une bouteille que nous dégusterons plus tard.

L’heure tourne, et nos montres aussi. L’arrivée en Géorgie marque une heure de plus au compteur. Du coup, il est presque 16h00, et nos ventres gargouillent. Une petite ville s’annonce. Nous passons devant plusieurs petits supermarchés. A l’intérieur, de l’alcool et encore toujours plus d’alcool. Mais pas de denrées alimentaires solides. Il sera plus simple ici de sortir le soir si nous le souhaitons. Un restaurant fait son apparition sur notre gauche. Cela ressemble aux cantines turques. Quelques plats, et de bonnes portions plus tard, nous sommes bons. Notre premier repas sur le sol géorgien. Notre première comparaison avec la Turquie. Les prix sont un peu plus élevés, mais il faudra attendre d’être éloigné de la frontière pour vraiment le dire. De retour sur nos vélos, nous partons à la recherche du fameux château que nous avions fléché. Il se trouvait 500 mètres plus loin. L’enceinte extérieure est en parfait état. Un immense château… totalement vide à l’intérieur. Seuls les murs semblent intacts, et quelques rares fouilles ont permis de mettre en évidence quelques baraquements ici, ou l’emplacement des bains par là. Une petite salle expose quelques pièces de poterie. Une autre où ont été recréées des armes de siège. Nous ne retiendrons de la visite que notre marche le long des remparts, sans protection, sur un couloir par plus grand que nous. Mais le point de vue en valait la peine.

Quelques kilomètres encore et nous voilà sur le bord de mer de Batoumi. Une immense piste cyclable nous accompagne jusque dans le centre-ville où nous chercherons notre auberge de jeunesse. La première constatation est le choc radical de l’architecture. Tout est à l’opposé de la Turquie à ce niveau. D’immenses buildings, des bâtiments neufs… mais aussi des vieux HLM qui ont fait leur temps. Tous ensemble. Dans la même ligne de vue. Ce qui pousse à se questionner sur la question de l’esthétique. Chaque immeuble se voulant plus « novateur » et « artistique » que son voisin. L’image est assez spéciale. Nous, nous nous posons dans notre chambre, chacun dans nos lits superposés. Puis le temps de se laver, nous partons marcher un peu. Kiki continuera sa balade le long du littoral un peu plus longtemps, pendant que les trois autres choisissent l’option de se poser à la terrasse d’un pub irlandais pour passer la soirée. Nous voilà en Géorgie.

Jour 65 – Batoumi

Batumi. Une ville en pleine effervescence constructive. Partout, sur le littoral comme un peu plus loin, les chantiers y sont légions. D’énormes buildings, d’énormes hôtels, tous plus démesurés les uns que les autres. En se baladant dans ses rues, nous nous rendrons vite compte du constat de la veille : aucune unité de style. La personne en charge de l’urbanisme à la ville doit aimer aussi bien le pointillisme que l’art nouveau pour s’y retrouver. Pour nous, nous balader dans Batumi, c’est comme si nous changions d’époque à chaque coin de rue. Entre anciens bâtiments délabrés ou abandonnés et les grands hôtels, nous nous posons la question de savoir ce qu’est vraiment Batumi. Ce qui est sûr, c’est que la ville s’est tournée vers le tourisme balnéaire. Grande plage (de galets) avec une vaste allée piétonne et cycliste tout de vert vêtue, quelques attractions, et un nombre de casinos invraisemblable. Pour les parieurs fous, cette ville a tout du paradis. Tout est concentré dans un même « petit » carré, où vous trouverez le centre-ville, la plage, les magasins, les casinos, les restaurants et les hôtels. En moins d’une heure, vous pouvez faire le tour de Batumi et avoir vu l’essentiel de ce qu’elle regorge. Il faut dire qu’avec l’épais manteau nuageux que nous avons aujourd’hui, la ville semble bien triste, bien maussade, bien seule. Sous le soleil des mois d’été, le charme doit opérer très certainement.

Nous nous baladerons ici et là. Visiterons quelques Eglises. Irons même jusque dans un Ikea pour envoyer une photo au frère de Kiki (oui, une grande histoire d’amour pour lui et cette enseigne suédoise). Nous nous poserons au bord de l’eau, y tremperons nos pieds et y jetterons quelques galets dans l’espoir de ricocher au loin. Puis nous marcherons encore un peu avant de nous en retourner cuisiner un bout à l’auberge et nous abriter du déluge de la fin de journée. En chemin, une Eglise Orthodoxe. Celle-ci ne ressemblera en rien à ce que nous avions pu voir en Grèce. Les décorations et les peintures ont disparu, laissant seulement place aux icônes sur les murs. Un autre style, pour un autre pays. Ici, les femmes se couvrent les cheveux pour entrer à l’intérieur de l’Eglise. A l’extérieur, c’est tout autre chose. Si en Turquie nous n’en avions pas vu, ici, c’est aux abords des Eglises que sont principalement les mendiants. Rien que devant celle que nous avons visité, il devait y avoir une dizaine de personne. Dans la ville vous en verrez aussi dans certains endroits, et Philippe a pu faire l’expérience d’une technique assez spéciale. Une femme a envoyé son fils vers Philippe pour s’accrocher à lui. Le petit ne voulait pas lâcher malgré nos efforts à l’enlever. Une manière comme une autre d’avoir une pièce, mais une manière assez dure pour un enfant de cet âge… Nous réussirons à l’enlever de la jambe de Philippe après de multiples essais, mais avec un sentiment assez bizarre. Ce qui était moins bizarre par contre, mais plutôt ingénieux, c’était ces vendeuses ambulantes avec leurs charriots de friandises. Elles s’arrêtaient devant le portail d’une école pour que les élèves puissent venir leur acheter quelques gourmandises lors des pauses. Mieux que les distributeurs automatiques que nous pouvons voir fleurir dans nos écoles en France. Puis, si vous passez à côté, vous pouvez acheter à ces mêmes vendeurs au coin des rues quelques fruits pour 1 sous. Les filles ont craqué pour les fraises des bois. Un gobelet entier. Un vrai régal. A tester sans hésitation.

Après avoir fait quelques courses dans un supermarché, acheté notre viande au boucher en face de l’auberge, nous cuisinerons de bonnes pâtes aux légumes pour nous remettre de nos « émotions » de la matinée. Nous en profiterons aussi pour déguster tous ensemble le vin que nous avions acheté à la frontière la veille. Un petit réconfort pour l’esprit. Pour le corps, le reste de l’après-midi fut dédié à la sieste pour les uns, au montage vidéo pour Kiki. Puis quand les cordes ne suffisaient plus pour décrire la pluie en dehors, nous voilà à jouer aux cartes dans le salon de l’auberge. D’abord un jeu de cornichons, puis un bon vieux tarot. Cela nous occupa pendant quelques heures, avant que l’appel de nos ventres nous pousse à nous habiller et sortir sous une pluie fine à la recherche d’un restaurant. Cela sera quelques spécialités locales pour bien commencer l’immersion dans le pays. 

Jour 66 – Batoumi à Monastère de Jikheti 

Le réveil sonne notre départ. Nous quittons une nouvelle fois nos amis belges. Nos chemins divergent aujourd’hui, mais peut-être se recroiseront ils à nouveau plus tard. Le temps de sortir toutes nos affaires, de prendre un petit-déjeuner ensemble, et nous voilà sur nos vélos sous un bon voile nuageux. Il ne nous quittera pas de la journée, se transformant même en pluie une bonne partie du parcours. Nous aurions pu avoir une route facile, mais parfois, trop simple annonce plus de complications qu’autre chose. Et c’est ainsi que Kikinette a décidé de faire une triplette dans la journée pour rattraper son retard sur Kiki en termes de casses mécaniques. Une vingtaine de kilomètres après notre départ, c’est d’abord le pneu arrière qui va être à plat. Démontage, recherche du problème et résolution avec une nouvelle chambre à air. Une petite tige en fer s’était insidieusement insérée dans le pneu provoquant la crevaison. Pas de chance. Un peu de graisse plus loin et quelques kilomètres aussi, voilà que nous nous arrêtons de nouveau. Une des fixations du porte bagages avant a explosé. Kiki sort son vieux lacet et tente une réparation de fortune en l’absence des bons outils pour faire le remplacement.  Et c’est en fin de journée, alors qu’il ne nous restait qu’une « petite » ascension pour le Monastère qu’une deuxième fixation du porte bagages avant a sauté à son tour, rendant impossible d’y mettre les bagages dessus. Et là, impossible de le réparer. Une belle journée de casses pour Kikinette qui se rapproche du compteur de Kiki. Mais il n’était pas nécessaire de tout faire le même jour.

Découvrir les routes géorgiennes sous un épais voile nuageux n’est pas la meilleure manière pour le faire. Il rend les routes tristes et maussades. Les montagnes deviennent sans vie et menaçantes. Les gens ne restent pas longtemps dans la rue, préférant courir s’abriter. Et pour nous, l’ambiance devient différente. Les chiens gambadent sur le bord des routes, les vaches les traversent, et les hommes vaquent à leurs occupations. Les femmes elles, nous ne les verrons que très peu. Parfois tenant quelques stands de légumes le long de la route, parfois à faire le ménage devant les maisons, mais le plus souvent, elles resteront bien cachées de nos vues. Tout cela rend le tableau encore plus sombre, comme si nous traversions une tempête et que notre navire allait se faire accoster à tout moment. La météo peut nous jouer de drôle de tour. Loin de la réalité. La réalité, c’est celle des animaux qui sont libres comme l’air, un peu les rois du monde ici. Il y a les chiens, en grand nombre dans les rues, à se balader tous seuls, parfois même avec leur laisse, parfois à se faire la conversation à travers la grille d’une maison. Il y a les vaches ensuite, là où l’herbe est la plus verte pour la mâchouiller avec envie pendant des heures, à vous regarder sans fin. Elles vont d’un côté, puis de l’autre, traversant les routes sans même regarder si un automobiliste (ou un cycliste) n’a pas la priorité. Quelle éducation ! Puis il y a tous les autres animaux de la ferme que vous pourrez croiser le long de votre route, les cochons, les poules, les oies… Et les conducteurs semblent y faire attention.

Ce qui est assez relatif comme notion quand nous voyons leur manière de conduire. Tout sauf prudent. Il ne semble pas y avoir de règles, même si il y a des radars tous les kilomètres ici. Les gens se doublent, voire se triplent sans problème aucun. Nous avons même été klaxonnés par une personne doublant dans l’autre sens, parce que nous ne roulions pas assez à droite sur notre voie. Un comble. Puis il y a toujours le klaxon. Nous avons quitté les minibus turcs et leur manie à appuyer sur cet engin de malheur pour le retrouver ici dans les mains des taxis. Taxis qui vont en user encore et toujours pour essayer de trouver des clients. Pour le bus, nous pouvions « entendre » la technique… pour les taxis, c’est plus compliqué. A chaque pays ses « traditions » sur la route. Route qui soyons franc ressemble plus parfois à une piscine qu’à une route. Le nombre de trous et l’affaissement de la route provoque de belles flaques d’eau qu’il est assez difficile d’éviter en vélo. Nos affaires auront ainsi le droit à une nouvelle couleur pour terminer la journée. Ce qui nous pousse de plus en plus à imaginer un système pour pallier à l’impossibilité d’ajouter des gardes boues à l’arrière de nos vélos du fait des portes bagages trop bas. Le bout de bois semble être en bonne position pour remporter la course.

La route défile, les heures aussi, et après un rapide arrêt dans le froid pour manger, nous sommes congelés. Il faut dire que la pluie qui commence à tomber en début d’après-midi n’aidera pas à nous réchauffer. Nous décidons que dans la prochaine ville, si nous trouvons un hôtel, nous y resterons pour la nuit afin de nous réchauffer, avant de reprendre la route le lendemain pour le Monastère. Il y avait bien un hôtel… mais il ne restait plus que la pancarte, ce dernier ayant fermé quelques années auparavant. Et c’est tant mieux pour nous. Nous aurions manqué une expérience unique sans cela. Parfois, une certaine chance nous pousse ailleurs. Ici, nous pourrions appeler ça les Voie du Seigneur. Nous poussons donc encore une grosse dizaine de kilomètres avant de voir le panneau indiquant le chemin à emprunter pour rejoindre le Monastère. En chemin, nous apercevrons un système bien particulier pour amener le gaz dans chaque maison. De chaque côté de la route, des tuyaux bien apparent forment une symphonie bien étrange, une ligne jaune et une ligne rouge, qui s’alignent le long des clôtures. Puis nous voilà à la troisième casse de Kikinette, tout en bas de la route affichant 3km sur le panneau. Nous voilà à pousser nos vélos sur un chemin des plus chaotiques, oscillant entre terre et cailloux, avec une minuscule rivière s’écoulant parfois au milieu. Et le tout, dans des montées de plus de 15% qui nous laissent sur les rotules. Mais il fallait endurer tous ces efforts selon nous pour pouvoir atteindre ce Monastère bien caché et si accueillant.

La grande porte est en vue après presque une heure de labeur. Une petite pluie fine nous suit lorsque nous nous engageons sur le chemin principal. Un homme est là, Yohan. Il parle quelques mots d’anglais et nous arrivons à nous comprendre quand nous lui parlons des autres cyclotouristes monégasques qui nous ont conseillé de faire une halte ici. Il passe un coup de téléphone à Nino, l’une des sœurs du couvent qui parle très bien anglais. Le temps qu’elle revienne de la ville, nous sommes invités dans la grande salle pour manger un bout. Sur les murs, une peinture de la Cène, une autre de la Sainte Mère, et une représentation de Jésus. D’autres sœurs mangent aussi à une autre table. Nous en verrons passer plusieurs comme ça aller et venir, tandis que Sœur Nino est arrivée et que nous discutons avec elle. Il s’agit d’un Monastère de Nonne. Nous serons donc séparés pour la nuit, Kikinette s’étant vu offrir l’une des habitations libres, et Kiki dormant avec les autres hommes dans une pièce à l’entrée du Monastère. Le temps de faire les présentations, que voilà Yohan à vouloir nous aider avec notre problème de vélo. Nous pensions impossible de réparer ça ici, mais voilà que Yohan réussira à nous trouver les pièces manquantes et à les fabriquer lui aussi pour réparer le porte bagage avant. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le vélo de Kikinette était de nouveau opérationnel. Nous ne savons comment le remercier pour ce miracle ! L’heure étant bien avancée, le froid et la pluie ayant aussi fait leur office, nous partons chacun de notre côté dans nos chambres pour méditer sur la journée qui venait de nous arriver.

Data depuis le début  

  • Kilomètres parcourus : 134,17
  • Temps de déplacement : 7h34m47s
  • Altitude : 489+ / 470-
  • Calories dépensées par personne : 3284
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