Jour 106 – Beyneu à Noukous
Minuit sonne. Nous plions bagages. Notre petite chambre nous manquera sûrement pour les prochaines heures. Le temps de remonter sur nos vélos, nous disons au revoir au gérant de l’hôtel bien sympathique et parlant anglais. Direction la gare pour voir que notre train est déjà en gare. Trois heures avant le départ, nous voilà déjà dedans. Et nos vélos avec nous. Ou au-dessus de nous pour être plus précis. Après moult réflexions, le personnel de bord s’est dit qu’il était plus facile de les mettre là-haut. Pourquoi pas, si cela est plus pratique pour ne gêner personne. Le temps de nous installer, Baris, le cycliste turc rencontré à Bakou nous rejoint. Nous discutons un peu avant d’aller nous coucher.
Une heure plus tard, le train est sur le point de démarrer, et l’un des membres de bord vient nous réveiller. Nous devons donner nos passeports pour le contrôle. Nous voilà debout à plus de 3h00 nous demandant ce qu’il va se passer. Nous attendons un moment, puis une autre personne vient nous remettre des formulaires à remplir pour entrer en Ouzbékistan. De beaux formulaires écrits en Ouzbek. Nous voilà bien à tenter de comprendre, quand un membre d’équipage vient nous aider tant bien que mal à le remplir. Fait intéressant, nous devons déclarer l’argent que nous avons sur nous. Le temps passe et un militaire vient alors discuter avec nous. Lui aussi, comme la plupart que nous avons rencontré depuis le début est très cordial, souriant et nous parle de la France. Lui nous parle football et de Zidane (et de son coup de tête). Nous rigolons un peu, puis il doit repartir. L’attente est longue car nous ne savons pas quand nous passerons la frontière et quand nous pourrons dormir vraiment. Du moins, pour Kiki, Kikinette elle s’est déjà rendormie depuis longtemps, attendant simplement d’être réveillée si il y a besoin.
4h20, nos passeports nous sont rendus avec le tampon Kazakh dessus. Une première étape, ne reste plus qu’à passer le contrôle pour l’Ouzbékistan. Nous sommes en bout de wagon. Point positif, il n’y a personne et la lumière est éteinte. Point négatif, tout le monde passe par là pour aller aux toilettes, et tout le monde ouvre et claque la porte à chaque fois. 4h30, le train s’arrête. Nous sommes à la frontière entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Plus rien ne se passe pendant un long moment. Dehors, un vent fort n’arrête pas de souffler. Au loin, le soleil commence timidement à se lever. Et nous, nous n’avons pas encore vraiment dormi. Au bout d’un moment, Kiki ne tient plus lui aussi et s’endort, ne voyant plus aucun mouvement dans le train. Cela sera seulement pour une petite demi-heure. À 6h00, le train semble avoir redémarré entre temps pour arriver dans la première ville. Là, des soldats viennent prendre nos passeports. Puis nous attendons encore quarante minutes avant qu’un autre soldat nous demande d’ouvrir tous nos sacs. Moment de vérité pour nous, car nous savons qu’il pourrait y avoir un problème avec le drone. Le soldat regarde alors brièvement dans les sacs, nous demande si nous avons des médicaments, les regarde, puis nous dit que tout est ok. Énorme soulagement pour nous. Il ne reste plus qu’à récupérer les passeports qui nous seront donnés vers 7h20.
Enfin tout est en règle, enfin nous pouvons dormir. Du moins, c’est ce que nous pensions. Car une fois la frontière passée, le train devient un véritable bazar ambulant. Des hommes et des femmes sillonnent les wagons pour vendre de tout. Nourriture, vêtements, jouets, bijoux, électronique, et même certains proposent de faire du change. Dans ces conditions, et avec une chaleur importante dans le train, il est assez difficile de vraiment dormir, nous ne faisons que des micro siestes. Par la fenêtre, il n’y a qu’un paysage désertique à perte de vue. Par moment, au milieu de nulle part, de grosses usines sortent de terre. Puis le désert reprend ses droits. Nous dans le train, nous devenons l’attraction. Un enfant de onze ans s’attache à nous après avoir pris une photo avec nous. Il restera sur nos couchettes une bonne partie de la journée à parler par intermittence avec nous, pour en savoir plus sur la France et ce que nous faisons. Pendant le même temps, Kiki a eu la mauvaise idée d’essayer de changer de l’argent. Pendant plus de trois heures les banquiers en herbe vont se succéder pour tous avoir les quelques dollars que nous avons, agaçant énormément Kiki au bout d’un moment. Ces derniers ne voulaient plus partir, sortant d’énormes liasses de billets pour essayer de le faire craquer. Ils l’ont bien fait craquer mais d’énervement à la fin. Avoir de l’argent va être une partie de plaisir ici vu que nous allons nous balader avec un nombre de billets impressionnant. En Ouzbékistan, le taux du dollar sur le marché noir est deux fois plus important que l’officiel, ce qui pousse tout le monde a l’utiliser. Un dollar vaut entre 8000 et 8300 tenges. C’est à partir de Kungrad que le paysage commence doucement à changer. Les déserts se couvrent de quelques arbustes verts, des petits lacs font leur apparition, et les cultures se découvrent. C’est aussi à partir de cette ville que le train se vide entièrement. Nous sommes enfin seuls à nous morfondre de la chaleur ambiante. Ce n’est qu’après plus de 18h dans le train que nous arrivons enfin à Noukous. Notre seule envie est de pouvoir prendre une bonne douche froide.
Pieds à terre. Vélos sur la route. Nous voilà à chercher un endroit où rester pour la nuit. Après plusieurs tentatives dans des hôtels assez chers, nous tombons sur un qui nous propose de dormir en yourte pour la nuit à prix raisonnable. Mais il faut payer en dollars. Dommage, nous venions d’en changer une partie en sum. La transaction faite, nous nous installons dans notre yourte. Une première pour nous. C’est assez spécial, mais pourquoi pas, nous devons tout essayer. Une bonne douche plus tard, après avoir rencontré trois autres cyclotouristes qui restent aussi dans l’hôtel, nous partons en quête d’un restaurant pour manger notre premier vrai repas de la journée. Le temps de marcher un peu dans la ville à la nuit tombée, nous buvons un coup dans un bar pour célébrer enfin notre arrivée en Ouzbékistan.
Jour 107 – Noukous à Kipchak
Une bonne nuit de sommeil dans un lit qui ne bouge pas au son des vagues ou à la vitesse des rails, voilà ce que nous pouvions espérer. Et pouvoir faire une nuit complète sans devoir se réveiller toutes les heures, rien de mieux pour être en pleine forme. Même si nous avons dû nous lever vers 8h00 pour pouvoir profiter du petit-déjeuner de l’hostel, nous ne regrettons pas. Un repas gargantuesque nous attendait pour nous donner les forces nécessaires pour affronter cette journée. Un rapide coup d’œil dans le Lonely Planet, et nous savons maintenant ce que nous allons faire de notre matinée. Elle sera culturelle pour découvrir l’histoire de l’Ouzbékistan avec l’un des plus grands musées du pays, le musée Igor Savitsky. Ce dernier occupe une place centrale dans Noukous. Entourés d’une vaste esplanade, de fontaines et de plusieurs jardins, les trois bâtiments gigantesques ont de quoi en imposer. Pour l’instant, un seul bâtiment est ouvert au public, exposant « uniquement » 3% de la collection totale. Uniquement est un faible mot, vu qu’à l’intérieur, le nombre de pièces exposées est déjà important. A terme, d’ici un an, un deuxième sera ouvert pour monter le chiffre à 10%, tandis que le troisième servira de réserve à l’immense collection recueilli dans le temps par Igor Savitsky.
Pour l’occasion, nous décidons de recourir à un guide pour nous faire la visite complète du musée. Pendant presque deux heures, nous avons le droit à un cours complet sur l’Histoire et la culture Ouzbek, ainsi qu’à un nombre impressionnant d’informations concernant les différentes œuvres et peintures exposées. Il y a là-dedans un patrimoine inestimable de tout l’Art du pays qui a été récupéré pendant de nombreuses années durant l’époque soviétique et qui continue aujourd’hui. Les tenues traditionnelles des mariés se mêlent aux nombreux bijoux que les femmes portent à différentes périodes de leur vie. Dans la culture Ouzbek, chaque bijou a une signification propre, comme pour dire que la femme vient de se marier ou attend un enfant par exemple. La richesse d’une famille passe donc logiquement par ce biais pour s’exposer auprès des autres, en ajoutant des pierres plus ou moins précieuses et en ayant des bijoux toujours plus imposant. C’est assez remarquable de voir certaines photos mettant en scène une mariée parée entièrement. Juste magnifique. Puis nous voilà à entrer dans la reconstitution d’une yourte pour un jeune couple. Toujours entrer avec le pied droit, et sortir avec le pied gauche. Une croyance importante ici pour que les mauvaises choses restent toujours en dehors de la maison et que celle-ci demeure le « sanctuaire » de la famille. Il en est de même lors de la construction d’une yourte. Il n’y a pas un seul charpentier à l’œuvre, mais au minimum deux. L’un va construire l’ensemble de l’ossature en bois, tandis que le deuxième va réaliser la porte. La croyance veut que si la même personne construit une yourte, son esprit restera emprisonné dans ce rond sans fin. Le reste de la visite nous emmènera vers les peintres nationaux qui ont su à travers le temps travailler sur un nombre de style très varié pour composer avec leur pays. Une partie ayant des affinités avec des peintres européens renommés comme Sézanne ou Chagall chez qui ils s’inspireront pour créer un style Ouzbek unique.
Au dehors, la pluie va tomber par intermittence, avant de laisser place à une chaleur étouffante. Il est difficile de rester longtemps dehors dans ses conditions. Nous décidons donc de faire une pause dans la cour de notre hostel en attendant de décider la suite des événements. Tout le monde décidant de prendre la route dans la fin d’après-midi, nous décidons aussi de faire nos bagages et de ne pas rester une nuit supplémentaire dans la yourte. Nous remplissons nos gourdes, notre poche à eau de 10L, puis nous achetons encore 3L supplémentaires pour faire le voyage. Vers les coups de 16h30, nous prenons la route avec Baris. Tous les trois, nous expérimentons le désert Ouzbek. Une véritable torture. Pendant plus de 50km, le vent sera contre nous. Le vent sera chaud. Le vent nous assèchera la gorge en quelques minutes. Nous buvons des litres et des litres d’eau. Toutes les cinq minutes nous portons nos gourdes à nos bouches pour boire une eau de plus en plus chaude. Mais dans cette chaleur, il est impossible sans thermos d’avoir une eau toujours fraîche. Une erreur que nous essayerons de réparer très rapidement. Autour de nous, un désert à perte de vue, avec pour seules lignes conductrices, deux voies de bitume parallèles. L’une est toujours en construction, avec certains tronçons où nous pouvons rouler parfaitement, l’autre a un peu souffert du temps, sans pour autant être en mauvais état. Nous avançons alors à une allure normale malgré le vent qui souffle. Même si il n’y a que le désert, nous pouvons y voir des choses insolites, comme cette avion de ligne abandonné là dans le paysage.
Le soleil commence doucement à nous abandonner, et la nuit arrive à grand pas. Nous sommes encore à une dizaine de kilomètres de la première ville où nous voulons nous ravitailler en eau. Nos réserves étant très basse, nous n’avons plus assez pour la nuit et repartir le lendemain matin. Là, nous tombons sur la fin de la route principale avant l’embranchement vers la ville sur une maison du thé. Celles-ci jalonnent la route en différents endroits pour permettre aux voyageurs de se désaltérer et trouver un peu d’ombre pour se reposer. Nous nous jetons sans hésiter sur l’occasion pour acheter plusieurs litres d’eau bien fraiches. Alors que nous allions repartir, l’homme s’occupant du lieu nous propose de dormir sur l’immense « banc » qu’il a pour la nuit. Le nombre de moustiques que nous voyons tourner autour de nous nous fait préférer poser notre tente quelque part, plutôt que dormir à la belle étoile. L’homme nous propose alors de dormir dans une sorte de cour fermée se trouvant juste derrière sa maison. Nous acceptons sans problème, ne souhaitant pas devoir chercher un autre endroit en pleine nuit. Les moustiques y seront légions, les piqures aussi. Heureusement, nous dégainerons rapidement notre spray dans l’espoir de moins se faire piquer. Espoir, car certains continueront quand même leur œuvre. Nous dinerons rapidement à l’extérieur avant de nous en retourner dans nos tentes. La chaleur étant trop importante, nous dormirons seulement avec la moustiquaire. Une nuit à ciel ouvert avec pour compagnon des moustiques cherchant la moindre ouverture. Un dernier regard vers les étoiles avant de rejoindre Morphée.
Jour 108 – Kipchak à Khiva
6h00, nous nous réveillons lentement. Avec les fortes températures et le soleil se levant de plus en plus tôt, nous décidons de partir à la fraîche pour s’éviter les mêmes conditions que la veille. Nous décidons surtout d’être prudent vu que nous avons environ 120km à réaliser dans la journée. Un petit-déjeuner sur le pouce, et nous plions toutes nos affaires. Nous remercions notre hôte d’une nuit, puis nous voilà parti pour l’aventure. Oui l’aventure, car si les premiers trente kilomètres offrirent une route convenable, notre cauchemar débuta ensuite. Surement l’un des pires pour l’instant. Nous pensions avoir tout vu avec les routes géorgiennes, mais l’Ouzbékistan nous réservait une toute autre surprise. L’état des routes est catastrophique. Si les trous sont nombreux, ils ne posent pas trop de problème puisque nous pouvons toujours les éviter. Mais éviter une route constamment craquelée est assez difficile, surtout pour nos vélos qui vont souffrir encore plus que nous. La plupart du temps, nous roulons sur le bas-côté qui est une sorte de mélange de terre et de gravier. Nous y roulons plus rapidement que sur l’asphalte, une mauvaise blague. Kiki perdra à nouveau l’une de ses fixations avant du porte bagage ; mais nous sommes heureux de n’en avoir perdu qu’un seul vu ce que nous leur avons fait subir aujourd’hui. Toute la journée nous maudira intérieurement les routes Ouzbeks, surtout avec les fortes chaleurs et le vent qui ne semblent pas vouloir nous aider. Cela nous pousse alors à nous arrêter à de multiples reprises tout au long de la journée.
Une première fois, vers les 11h30 quand nous décidons de faire notre break. Nous trouverons un petit restaurant en bord de route où nous nous reposerons pendant une bonne heure et demie. Avec le soleil, il est difficile d’avoir vraiment faim, alors nous nous forçons. Nous buvons beaucoup, ce qui n’aide pas non plus. Une soupe et un peu de viande plus tard, nous prenons le temps de faire une petite sieste. Quand la chaleur devient intenable à l’intérieur, nous partons un peu plus loin nous abriter à l’ombre d’arbres. Nous y faisons alors la connaissance d’un jeune Ouzbek qui vend du grain. Comme le turc semble être une langue comprise en partie ici, Baris sert de traducteur. Deux autres Ouzbeks arriveront par la suite avec lesquels nous discutons un petit moment. L’un parlera avec nous par l’intermédiaire de Google Translate pour nous expliquer qu’il compte partir vivre en Europe prochainement avec sa famille. La famille est ici un sujet assez récurrent et important que tous les Ouzbeks nous demandent. Avons-nous des enfants, où sont nos parents, sommes-nous mariés. Nous repartons sur les coups de 15h00 sur une route qui ne sera pas moins chaude, mais il fallait bien repartir si nous voulions arriver à Khiva en début de soirée. Nous rencontrons en chemin un chauffeur de bus parlant français qui nous fera prendre une petite pause à l’ombre. Puis vers 17h00, la faim nous assaille à nouveau lorsque nous trouvons un petit supermarché pour grignoter quelques gâteaux et un melon. Nous ne ferons qu’une autre pose dans un arrêt de bus avant d’enfin voir les contours de Khiva se dessiner devant nous. Là, nous posons rapidement nos vélos dans un hostel pour y prendre une douche froide comme il convient de faire par ces températures.
Si la veille nous n’avions vu de l’Ouzbékistan que son désert aride, aujourd’hui nous plongeons dans un Ouzbékistan plus vert que jamais. En nous enfonçant loin de la route principale, la nature semble s’être développée autour de cours d’eau. Et tout autour de nous, les hommes et les femmes travaillent dans les champs. Une partie sur la terre, l’autre les pieds dans l’eau. Il faut dire que nous croisons un nombre impressionnant de rizières, spectacle que nous ne pensions voir qu’à partir de la Chine. Toute cette eau environnante permet de rafraichir un minimum l’air ambiant. Car même si les températures sont aussi élevées que la veille, nous ne nous sentons pas aussi gênés par elles, respirant plus facilement. Ce changement assez radical d’environnement nous montre de nouvelles couleurs, de nouvelles perspectives. Il nous fait traverser plusieurs petites villes sur notre chemin, avec des maisons plutôt éparpillées ici et là. Jamais plus d’un ou deux étages au compteur, toujours construites avec des petites briques recouvertes d’une sorte d’enduit et des toits plutôt plats. L’ocre est la couleur dominante pour se fondre au maximum dans le paysage désertique. Les couleurs apparaissent avec les tapis et autres décorations que les Ouzbeks parent les maisons.
L’architecture locale est plus qu’intrigante. Quand nous partons explorer à la tombée de la nuit la ville fortifiée de Khiva, nos yeux s’ouvrirent en grand. Jamais nous n’avions vu un tel spectacle. Une beauté sans nom se découvrait devant nous. Les différentes nuances de bleu sur les minarets et les bâtiments nous subliment. Nous déambulons dans de grandes allées pavées, dans un dédale de bâtiments tous plus énigmatiques les uns que les autres. Que peuvent-ils cacher derrière leurs portes, qu’allons-nous y découvrir le lendemain. Nous sommes plutôt seuls à l’intérieur de l’enceinte, profitant pleinement du lieu. Une terrasse panoramique nous fait de l’œil, alors nous allons nous y poser pour prendre notre diner tout en regardant les étoiles apparaitre et voir les lumières illuminées certains des bâtiments. Un grand sourire aux lèvres, nous sommes heureux d’avoir passé cette journée et pu arriver dans cette éblouissante cité.
Data depuis le début
- Kilomètres parcourus : 4 385,50
- Temps de déplacement : 261h14m06s
- Altitude : 29 548+ / 29 078-
- Calories dépensées par personne : 130 754